C’est depuis le Portugal que Mathias Roche, scénariste que nous avons accompagné comme script-doctor, nous parle de ses expériences d’écriture. Mathias y vit depuis 11 ans et partage son temps entre projets d’écriture et missions humanitaires ou d’aides au développement. La série TV sur laquelle il travaille en ce moment mêle d’ailleurs ces deux réalités. Ses expériences de terrain le confrontant quotidiennement à un monde qui déraille, il sent le besoin d’en témoigner. Par l’écriture de fiction, médium auquel il croit fermement pour tenter de changer les choses.

Venir à l’écriture sans y être formé

lescenario.fr : Mathias, vous n’êtes pas scénariste de formation, pourtant vous avez multiplié les initiatives pour en apprendre les codes. Pourquoi cette obsession vis-à-vis de l’écriture de scénario ?

Mathias Roche : Je dirais que ce n’est pas tant l’écriture de scénario en elle-même qui m’intéresse ou m’obsède comme vous dîtes. C’est surtout la possibilité, à partir d’un script, de pouvoir faire de la vidéo, de l’image en mouvement. C’est cela qui m’a toujours motivé. Dès mes premiers travaux photographiques en milieu associatif, mes essais en BD ou avec les jeux de rôle. Dans cette première phase de ma formation autodidacte à l’écriture j’ai très vite identifié mes limites au niveau dramatique. J’ai compris que sans une bonne structure de récit, je n’arriverais jamais à exprimer mes intentions.

lescenario.fr : Quelles ont été les étapes de votre parcours dès cette prise de conscience ?

Mathias Roche : Cela a commencé par une manière différente de regarder les choses. Je voyais beaucoup de films ou des séries mais je n’y apportais pas toujours un regard critique constructif. J’ai dépassé le stade du « j’aime bien/j’aime pas » pour vraiment réfléchir aux aspects qui me dérangeaient. Je travaille parfois sur mes projets à partir d’une forme de déception de ne pas voir ce que j’aimerais voir. Pour autant, il ne suffisait pas de vouloir autre chose pour, miraculeusement le produire moi-même ! J’ai donc commencé à rechercher des ressources dans ce milieu particulièrement fermé du cinéma.

lescenario.fr : Qu’entendez-vous par là ?

Mathias Roche : J’ai compris que la solitude était contre-productive. Quand on a l’ambition de s’adresser au monde, on ne peut pas dialoguer qu’avec soi-même. Écrire un scénario est un travail complexe, codifié. Or, par conviction ou par volonté de se démarquer, on peut avoir tendance, parfois, à créer ses propres règles. Mais même avec une idée de départ très forte, il est difficile d’avoir une vision totalement objective de sa propre œuvre. Et, surtout, de savoir si elle va s’inscrire dans les « codes » du milieu. Travailler avec la Maison du film, puis des consultants scénario indépendants  m’a ainsi aidé à mieux expliquer mon projet. Non seulement en termes d’intentions et de dramaturgie, mais aussi pour argumenter, convaincre les professionnels de l’industrie du cinéma.

Travailler avec un script doctor : un tournant nécessaire

lescenario.fr : Parlez-nous de votre expérience du travail avec un script doctor. Qu’en attendiez-vous et qu’en avez-vous finalement tiré comme enseignements ?

Mathias Roche : En collaborant avec un script doctor, je souhaitais avant tout établir un dialogue constructif avec un professionnel du scénario. J’attendais de pouvoir, graduellement, mettre en place un espace d’échanges avec mon interlocuteur. Je cherchais une écoute attentive, une implication sincère dans mon projet et une compréhension approfondie de ses enjeux. Ce travail d’accompagnement ne pouvant pas se réduire à proposer des solutions toutes faites qui marchent dans tous les cas. Je voulais aussi garder la main sur mon projet. M’assurer que l’on m’aide à mieux écrire, sans me diriger, même subtilement pour « rentrer dans des cases ». Je ne voulais pas entrer dans une dynamique d’amateur face à un professionnel qui sait tout.

Illustration de couverture pour le projet Maedusa – Copyright © @Mathias Roche, tous droits réservés

Mathias Roche (suite) : Et de fait, le script doctor auquel j’ai fait appel a répondu à ces attentes. Il m’a aidé à mieux assumer les intentions inscrites au coeur de mon projet. Il m’a poussé à expliquer, justifier et finalement assumer mes choix narratifs. Et cela en me laissant la liberté de ces choix. Il n’a jamais essayé de me dissuader, au contraire, il m’a forcé à prendre la responsabilité du travail et à oser. Cela m’a permis de renforcer la cohérence de mon histoire mais aussi de faire tomber certaines barrières psychologiques. Il n’a d’ailleurs jamais jugé l’originalité de mes propositions, ni posé sur elles un regard critique empreint de subjectivité dissimulée. Plutôt que d’imposer des réponses, il m’a encouragé à explorer mes idées. Cela a stimulé ma créativité et m’a rendu plus confiant dans mes capacités d’écriture.

Cela dit, mon script doctor m’a aussi posé des questions percutantes qui ont soulignées certaines faiblesses cachées de mon projet. Ce qui me semblait évident ne l’était pas toujours pour lui, mon « premier » spectateur auquel il s’attachait à s’identifier. Cela m’a beaucoup aidé dans la mesure où le plaisir de surprendre par la narration devenait conscient. Un bon script – et un bon film – ne sont jamais le fruit du hasard. Un scénario est une construction minutieuse d’un monde appartenant à son auteur. Il en a la responsabilité et doit le rendre cohérent, quels qu’en soient le sujet ou le genre. On doit être capable de justifier son choix ou alors cela veut dire que l’idée n’est pas assez bonne. Cette prise de conscience m’a été très bénéfique, je n’esquive plus les questions, j’y réponds à ma manière !

De la théorie à la concrétisation des projets d’écriture

lescenario.fr : Parlons un peu de vos projets actuels. Sur quoi travaillez-vous en ce moment et avez-vous fait appel à un script doctor pour vous accompagner ?

Mathias Roche : J’ai récemment choisi de donner un nouvel élan à ma carrière de scénariste. Avec une double ambition : exprimer ma vision du monde et intégrer des pôles d’écriture collectifs sur des séries. Proposer des idées fortes dans des œuvres grand public est d’ailleurs un objectif central au cœur de ma démarche.

Pour parler concret, actuellement, je mène plusieurs projets simultanément, entre mes missions humanitaires ou d’aide au développement. Parmi ceux-ci, un court-métrage d’animation inspiré par le deuil de mon père. S’agissant d’une exploration intime, un projet personnel, pour l’instant, il ne nécessite pas d’accompagnement.

Aussi, avec le temps, mes expériences, mes échanges avec les professionnels du cinéma, ma confiance en tant qu’auteur a grandi. J’ai ainsi reconsidéré des projets que je pensais, non pas impossibles, mais difficiles à aborder sans maîtrise des codes. Aujourd’hui, cette barrière est tombée, et j’aborde tous les styles, avec une préférence marquée pour la science-fiction et le fantastique. Je travaille d’ailleurs sur un projet de série « Maedusa » que je développe depuis plusieurs années. Je me fais accompagner par deux consultants (qui ne se connaissent pas) pour le mener à bien. J’ai aussi rejoint cet année un atelier organisé par l’association Séquences7.

En deux mots, Il s’agit d’une saga inspirée par une idée de Denis Lapière dans le Journal Spirou en 1998. Elle met en scène une super-héroïne confrontée à ses pouvoirs et à sa malédiction. J’y explore la thématique du rôle des super-héros face au crime et à la terreur de notre époque. Mon objectif avec ce projet est d’associer le réel au travers de prismes réalistes et psychologiques. De l’enrichir de mes expériences de voyageur et de travailleur humanitaire.

Ce projet, bien que fictionnel, s’inscrit dans une démarche personnelle profondément ancrée en moi. Mon ambition ultime est d’insuffler une énergie nouvelle dans le débat public autour de la lutte anti-corruption et anti-violence. En m’appuyant sur la fiction pour documenter et tenter de briser le cycle des problèmes récurrents de notre époque.

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