Le script doctor me réorientait à chaque fois pour que la lecture soit plus fluide et acceptable pour les professionnels du cinéma. Avec le temps, débarrassée de ce complexe de ne pas répondre aux normes, mon scénario a pris une forme acceptable par le plus grand nombre.

Valérie Nagant

Valérie Nagant : l’expérience du script-doctoring

Productrice, scénariste, réalisatrice, photographe

lescenario.fr : Valérie, comment avez-vous vécu votre passage quasi obligé par l’accompagnement à l’écriture de votre scénario ?

Valérie Nagant : Au début, je dois avouer que j’ai un peu ressenti cette confrontation comme un « choc des cultures ». La première script doctor (ou script docteur) avec laquelle j’ai travaillé m’a proposé une méthode je dirais scolaire, qui ne me convenait pas. Je ne remets pas en cause le professionnalisme de la consultante, ni l’efficacité de sa méthode pour des projets classiques. Mais je pense que ma proposition de film nécessitait une approche différente. Appliquer à mon scénario les sacro-saintes règles de dramaturgie – Acte 1, Acte 2, Acte 3, climax etc. – de manière rigide me paraissait contre-productif.

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lescenario.fr : Pourtant vous avez persévéré et réussi à mettre en place une collaboration qui a fini par porter ses fruits. Quel paradigme a changé votre perception du rôle de script doctor ?

Valérie Nagant : Le producteur qui accompagnait mon projet à l’époque m’a proposé de faire lire mon scénario à 5 lecteurs et lectrices. J’ai reçu, sans connaître l’identité de qui que ce soit, une analyse critique de mon travail. J’y ai reconnu la justesse de certaines remarques, j’ai aussi senti que mes intentions n’étaient pas toujours comprises. C’était intéressant, utile, frustrant parfois aussi.

Mais dans une des fiches qui m’ont été remises, au-delà des critiques, j’ai senti que quelqu’un parlait le même langage que moi. J’ai alors demandé à rencontrer le script doctor qui se cachait derrière ces notes.

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Et là, j’ai vraiment (re)pris confiance ! Car même si le scénario était loin d’être parfait, la puissance et la singularité du sujet et du traitement n’avaient pas échappé au lecteur. Mon producteur a accepté qu’il m’accompagne, nous avons commencé quasi immédiatement à travailler ensemble. En quelques sessions à peine, le projet a pris la dimension que j’ambitionnais de lui donner dès le départ.

lescenario.fr : Pour autant, est-ce que le travail avec ce script doctor vous a toujours satisfait ?

Valérie Nagant : Dans un premier temps, nous échangions beaucoup sur mes intentions et sur la manière de les transposer. Mais trouver des solutions en termes d’écriture m’incombait toujours alors que je n’avais pas encore intégré tous les codes. La distance que s’imposait le script doctor par respect pour la propriété intellectuelle de mon histoire ralentissait le processus.

Ce n’est que lorsqu’il a bien voulu montrer par l’exemple, en faisant des propositions d’écriture, que j’ai compris certaines choses. J’ai pu m’en inspirer. J’ai alors affiné mon style pour communiquer de manière plus claire des visions assez brutales. Le script doctor me réorientait à chaque fois pour que la lecture soit plus fluide et acceptable pour les professionnels du cinéma. Avec le temps, débarrassée de ce complexe de ne pas répondre aux normes, mon scénario a pris une forme acceptable par le plus grand nombre.

lescenario.fr : A l’aube de réaliser votre premier film de cinéma dans la peau d’une réalisatrice et scénariste, quel regard portez-vous sur l’apport d’un ou d’une script doctor dans le processus de fabrication d’un film ?

Valérie Nagant : Pour moi, cette présence à mes côté a revêtu un caractère vital. Sans cette collaboration, le film que j’ai entre les mains ne serait pas le même. J’ai été poussée dans mes derniers retranchements. Tellement de questions ont été posées et tant de solutions ont été apportées. Par moment, c’était magique, on se comprenait à demi-mot. A d’autres, le fait d’exposer des idées mal interprétées m’a obligé à mieux communiquer, ce qui m’a rendue plus efficace. Le script doctor étant le premier public du film, il faut l’écouter, le séduire et le convaincre par le scénario.

lescenario.fr : Envisagez-vous de recourir aux services d’un script doctor dans le cadre de vos prochains projets d’écriture ?

Valérie Nagant : Pour être honnête, quand nos sessions de travail ont pris fin, j’ai ressenti une forme de manque. Echanger avec le script doctor, c’était comme une manière de vivre le film au quotidien. Maintenant que je suis en préparation, tout tourne autour des moyens financiers et techniques, de la logistique, du casting… Ce n’est pas du tout la même chose. Même si cela fait partie de mon éducation au monde du cinéma que j’ai entre-aperçu avec mon travail de photographe.

Cela dit, le film que je m’apprête à tourner est une version courte de mon projet initial. Je pense donc déjà à l’après. Et mon ambition est de pouvoir réaliser le long sur lequel le script doctor et moi-même pourrons, je l’espère, reprendre nos discussions.

Pour en savoir plus sur Valérie Nagant, son travail et ses actualités : https://www.valerienagant.com/